Les poissons migrateurs amphihalins réalisent des migrations d’une distance et d’une durée variables entre les eaux douces et les eaux marines afin d’accomplir leur cycle de vie. La nécessité de migration et de libre circulation sur leur route les a rendu plus vulnérables aux impacts anthropiques que les poissons sédentaires. En Europe, la majorité des stocks de poissons migrateurs a connu une chute de plus de 90 % depuis le 18ème siècle principalement en raison des actions humaines (obstacles à la migration, pollution, surpêche, dégradation des habitats…). Encore aujourd’hui, la situation des poissons migrateurs amphihalins est préoccupante. En effet, la dernière évaluation nationale datant de 2019 indique que 4 espèces sont aujourd’hui menacées et 3 sont quasi menacées.
Chiffres clés
- 10 espèces de poissons migrateurs sont présentes en Normandie sur les 13 retrouvées en Europe ;
- 1 espèce, l’Esturgeon européen a disparu de la région depuis 1 siècle ;
- 7 espèces sont des poissons « grands migrateurs », toutes en régression au niveau national et bénéficiant de mesures de protection ;
- 3 espèces sont considérées comme « petits migrateurs » et ne font l’objet d’aucun suivi ni d’aucune mesure de protection ;
- 70 % des espèces de Normandie et 50 % des espèces présentes en France sont menacées ;
- 2 espèces bénéficient d’un Plan National de Gestion : le Saumon atlantique et l’Anguille européenne.
Un contexte normand particulier
La Normandie est composée de différents sols géologiques. La partie ouest de la Normandie est constituée de rivières de socle ancien à majorité granitique. La partie est de la région est principalement constituée de rivières calcaires (bassin de la Seine et fleuves côtiers). Ces deux entités représentent des rivières typiques favorables aux salmonidés migrateurs : les rivières granitiques pour le Saumon atlantique et les rivières calcaires pour la Truite de mer. De plus, la Normandie possède une diversité de milieux globalement favorables à l’ensemble des espèces amphihalines* présentes en France.
*une espèce amphihaline est une espèce qui migre entre le milieu marin et un milieu d’eau douce.
Les espèces de poissons migrateurs ont un caractère patrimonial prononcé en France et particulièrement en Normandie, tant pour leurs traits de vie remarquables que pour leurs intérêts culturel et économique forts. En effet, ces espèces contribuent à la fourniture de services écosystémiques en étant des sentinelles de la qualité de l’eau, des habitats et par conséquent du bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques. Etant considérées comme des espèces « parapluie », leur protection permet une protection stratégique de tout un écosystème.
Les espèces de poissons migrateurs présentes en Normandie
7 espèces amphihalines visées par le Code de l’Environnement sont actuellement présentes en Normandie : Le Saumon atlantique, la Truite de mer, l’Anguille européenne, la Lamproie marine, la Lamproie fluviatile, la Grande alose et enfin l’Alose feinte. L’Alose feinte reste généralement dans les estuaires ou en aval des hydrosystèmes. Sur ces 7 espèces présentes en Normandie, 4 ont un statut national de menace fort (Anguille européenne, Lamproie marine, Lamproie fluviatile, Grande alose).
3 autres espèces migratrices sont présentes sur le bassin Seine-Normandie : le Mulet porc, l’Eperlan européen et le Flet commun.
Ces espèces effectuent des migrations trophiques et se distinguent donc des grands migrateurs précédemment cités pour lesquels la migration est indispensable à l’accomplissement de leur cycle de vie. Leur statut de menace national est considéré comme moins alarmant.
Répartition régionale et départementale
Le nombre d’espèces inventoriées sur l’ensemble des départements est globalement homogène, avec 6 espèces présentes par département sur les 7 grands migrateurs suivis. La seule exception concerne l’Orne qui montre un niveau de colonisation plus faible et qui comptabilise 4 espèces. En effet, ce département possède une partie sud rattachée au bassin versant de la Loire qui est plus éloignée de la mer et qui est située en tête du bassin versant.
Pour visualiser la répartition de ces espèces sur le bassin Seine-Normandie
Etat des populations de poissons migrateurs: indices d’abondances et évolutions associées
Evolution de l’abondance du Saumon atlantique aux STACOMI*
Le Saumon atlantique est suivi sur l’arc normand (partie Ouest du bassin) depuis 40 ans, période sur laquelle ses effectifs sont globalement à l’augmentation. Ces tendances peuvent s’expliquer par une amélioration globale de la continuité écologique. Cependant sur les dernières années les effectifs sont en baisse, sans explications avérées!
Sur la Seine, cette espèce est peu rencontrée et depuis 2008 sa tendance est mauvaise. On observe une baisse des effectifs quasi-continue (chute de 50% au cours des dernières années) et les individus qui s’engagent en Seine n’ont aucune zone de reproduction accessible.
Evolution de l’abondance de l’Anguille européenne aux STACOMI*
Sur l’arc normand (rivière index Bresle), les effectifs d’anguilles ont largement chuté dans les années 90 et sont devenus globalement stables après 2000. Ces effectifs sont en cohérence avec la tendance nationale de l’espèce. On note une tendance à l’augmentation qui est perçue depuis 2016 (+ 36%).
Sur la Seine, la mise en service d’une deuxième station à Poses en 2018 a permis le passage de plus de 500 000 individus cette année-là. Cependant, sur les deux stations en Seine, les effectifs ont chuté sur les dernières années et aucune tendance ne peut être estimée sur ces années actuellement.
*STACOMI = STAtion de COntrôle des MIgrations
Les STACOMI sont des dispositifs qui permettent de comptabiliser le nombre de poissons qui passent par ces points du bassin. Elles sont équipées de caméra ou de cage-piège généralement et sont conçues pour inciter les poissons à passer progressivement dans des bassins et permettre ainsi le comptage, la mesure et l’identification de chaque individu. En Normandie, 7 dispositifs sont actuellement en place sur 6 bassins versants différents, généralement à proximité de la confluence avec la mer.
Le nombre d’individus remontant les fleuves après un séjour marin (individus géniteurs pour les anadromes , ou juvéniles pour les catadromes ) constitue une estimation précieuse des abondances continentales des poissons migrateurs
Les STACOMI représentent un outil national important pour l’amélioration des connaissances sur l’état des populations piscicoles.
Les indices d’abondance – Saumon atlantique
Depuis 2000, le Réseau saumon représente un outil de suivi des juvéniles de Saumon atlantique, indispensable pour estimer l’évolution du recrutement annuel de cette espèce.
Il est composé de 150 stations de pêche réparties sur deux zones distinctes l’une couvrant la Normandie occidentale (socle ancien) et l’autre plus récente sur la Normandie orientale (rivières calcaires). Les résultats de ce suivi sont positifs mais encore inférieurs aux potentiels régionaux d’accueil. Ainsi, le nombre moyen d’individus par station (abondance moyenne) dans le bassin Seine-Normandie a augmenté de 11% en 20 ans sur le socle ancien.
Ces dernières années les conditions environnementales extrêmes sont plus courantes (évènements impactant la qualité et la quantité d’eau). Ces dernières peuvent, en partie, expliquer les chiffres plus faibles observés ces derniers temps.
Concernant la partie orientale de la Normandie (calcaire) il est important de préciser que les rivières calcaires sont naturellement moins adaptées et attractives pour cette espèce et que la mise en place du suivi y est plus récente. L’indice saumon sur ces secteurs est ainsi attendu plus faible et doit être interprété en conséquence.
La majorité des saumons retrouvés sont localisés sur la partie ouest du bassin (socle ancien), principalement dans la Manche ainsi que dans le Calvados et la Seine-Maritime.
Indice d’abondance – Anguille européenne
Le Réseau anguille représente un outil de suivi indispensable pour estimer l’évolution du recrutement et du nombre de géniteurs de cette espèce présents dans nos cours d’eau. Il est composé de près de 200 stations de pêche réparties sur les fleuves côtiers normands et sur des affluents aval de la Seine.
Depuis 2010, l’abondance moyenne globale en anguille a diminué (-28%). Toutefois, deux tendances distinctes sont observées:
- D’une part, le nombre de juvéniles (<150 mm) augmente légèrement (+15%);
- D’autre part, le nombre d’individus plus âgés (pré-géniteurs) diminue fortement. Leur abondance moyenne a été quasiment divisée par deux depuis 2010 (-41%);
Les bassins de l’ouest de la Normandie (Manche et Calvados) sont caractérisés par des stations avec une forte à très forte abondance moyenne. Il est à noter que seuls deux bassins montrent une forte augmentation du nombre d’anguilles sur les 5 dernières années : la Scie (76), mais artificiellement suite à un déversement de civelles, et l’Orne (14).
Niveau d’accessibilité des cours d’eau
Depuis les années 1990 des efforts de restauration de la continuité écologique ont été entrepris sur de nombreux cours d’eau. Ces derniers ont permis la reconquête, au moins partielle, d’un grand nombre de cours d’eau Normands par les poissons migrateurs.
Cependant, quelques cours d’eau sont encore classés inaccessibles comme l’Yères, la Scie, l’Iton ou la Charentonne. Ceci car ils possèdent des obstacles infranchissables. Plus à l’ouest, la Drôme et l’Aure ne possèdent pas assez de données biologiques pour statuer de leur accessibilité piscicole. L’Ay possède également la mention « données insuffisantes » car elle a un blocage dès l’entrée.
Quelques précisions:
- Le linéaire accessible des cours d’eau se définit par la proportion de cours d’eau entre l’estuaire et le premier ouvrage infranchissable par l’espèce;
- Le linéaire colonisé est un linéaire sur lequel une ou plusieurs espèces migratrices sont présentes avec des effectifs conséquents;
- Le linéaire fréquenté se caractérise par la présence avérée d’individus migrateurs, mais en faible nombre, souvent en lien avec la présence d’obstacles difficilement franchissables à l’aval.
L’accessibilité des cours d’eau en Normandie est variable entre les bassins mais également en fonction des espèces qui peuvent les coloniser. Ainsi, grâce à leurs capacités de franchissement supérieures, les salmonidés parviennent à progresser plus vers l’amont que les autres espèces. La Grande alose au contraire possède de plus faibles capacités de franchissement des obstacles que les autres migrateurs et des exigences écologiques propres qui limitent sa progression.
Des grands axes comme la Vire, la Sée, la Sienne ou la Touques ont bénéficié d’efforts de restauration permettant l’accès à une grande partie de leur linéaire (principalement aux salmonidés et aux lamproies). D’autres bassins comme la Risle, l’Austreberthe ou la Sélune possèdent encore des obstacles infranchissables.
Des travaux sont en cours sur les ouvrages aval de la Sélune et la Risle pour la restauration de ces cours d’eau. Également, des efforts récents d’aménagement permettent d’améliorer l’accès à certains bassins peu à moyennement ouverts comme l’Eure, l’Orne ou l’Andelle. Enfin, l’accès des migrateurs à l’amont de la Sarthe et de la Mayenne (affluents de Loire dans le département de l’Orne) est aujourd’hui impossible, compte tenu de la distance à la mer et du nombre d’ouvrages à franchir.
Avertissements :
- Certains cours d’eau ne sont pas fréquentés par des espèces migratrices pour des raisons biologiques : températures trop fraîches, substrats inappropriés…. Ces linéaires sont classés en « Limites biologiques » des espèces en question comme la Grande alose ou la Lamproie marine.
- Un linéaire accessible ne signifie pas sans obstacle à la migration, ni que toutes les espèces amphihalines colonisent ce linéaire.
En Normandie, une problématique au niveau de l’accessibilité des estuaires est à relever. En effet, des points de blocage sont encore existants, notamment en Seine-Maritime avec des estuaires massivement artificialisés abritant des ouvrages majoritairement non équipés (buses ou clapets), considérés comme pénalisants à très pénalisants pour le passage des poissons entre la mer et l’eau douce. Les migrateurs se retrouvent donc bloqués ou retardés à l’aval de ces cours d’eau pourtant aménagés sur une bonne partie de leur linéaire aujourd’hui. Les blocages ou retards induits, en plus de perturber les migrateurs et de potentiellement compromettre leur reproduction, les surexposent en mer à des prédateurs naturels ou à des actes malveillants (braconnage notamment).
Pression de prospection et lacunes de connaissance
- En Normandie, environ 95% des bassins à enjeux migrateurs sont couverts par au moins 1 suivi régulier spécifique;
- La plupart des bassins de Normandie présente un manque de connaissance sur une à deux espèces comme dans la Manche ou en Seine-Maritime;
- Le bassin de la Risle (Eure) est le seul de Normandie à être considéré comme sans lacune puisque l’ensemble des espèces présentes font l’objet de suivis;
- 2 bassins sont fortement colorés comme la Dive ou l’Eure puisqu’ils ne possèdent pas de suivis ciblés sur 3 espèces potentiellement présentes sur leur territoire;
- Des évolutions aux cours des prochaines années vont apparaitre notamment avec la mise en place de deux stations de contrôle sur l’Arques et la Risle, mais également une extension des Réseaux d’indice d’abondance et de suivis frayères, permettant de réduire les lacunes sur les axes concernés.
Concernant l’effort de prospection: le nombre de stations de pêche prospectées par an a progressivement augmenté (Indice Saumon, Indice Anguille, Pêche d’inventaire…). En effet, 5 fois plus de stations sont annuellement suivies en 2020 par rapport aux années 2000, soit environ 300 stations prospectées tous suivis confondus.
Le nombre de cours d’eau prospecté annuellement en Seine-Normandie a augmenté également en doublant sur 20 ans, avec en moyenne 58 cours d’eau prospectés annuellement entre 2016 et 2020.
Ce qu’il faut retenir
espèces de poissons migrateurs sont présentes : 7 grands migrateurs et 3 petits. A l’échelle régionale, leur statut de conservation est majoritairement défavorable. 6 espèces sont retrouvées par département, à l’exception de l’Orne, qui en comptabilise 4.
d’observations, réparties sur plusieurs suivis différents depuis près de 40 ans. Plus de 42 000 observations sont à attribuer aux opérations de pêches et plus de 4 000 aux suivis de frayères. Le reste des données appartiennent aux comptages d’individus aux STACOMI
Les Indices d’abondance réalisés sur le saumon et l’anguille donnent une évolution populationnelle respective globalement mitigée. Les abondances des juvéniles de saumons évoluent positivement depuis 2001, sans pour autant atteindre les potentiels d’accueil du bassin. Les abondances en anguilles révèlent 2 tendances distinctes depuis 2010 : évolution positive des jeunes individus & décroissance du nombre de subadultes et adultes. Concernant l’ensemble des espèces comptabilisées aux Stations de Contrôle des migrations, les abondances retrouvées sont majoritairement à la baisse ou stables. Les tendances retrouvées varient selon l’espèce mais également entre l’arc normand et la Seine.
Les efforts de restauration de la continuité écologique en Normandie ont amené à la reconquête de la majorité des cours d’eau par les poissons migrateurs. 50 % des linéaires en moyenne sont accessibles et colonisables aujourd’hui. Certains cours d’eau restent encore imperméables comme l’Yères et la Scie, tandis que de grands bassins sont aujourd’hui accessibles sur la quasi-totalité de leur linéaire (Vire, Touques).
Des points de blocage dans les estuaires normands persistent sur une bonne partie du bassin. La majorité des ouvrages pénalisants à très pénalisants sont concentrés en Seine-Maritime
La majorité des bassins versants présents en Normandie font l’objet d’au moins 1 suivi spécifique. Toutefois, certains bassins ont un niveau de lacunes plus élevé du fait de l’absence de données STACOMI, Indice Abondance ou suivi Frayères ou du fait de la potentielle reconquête récente par certaine espèce comme l’alose ou l’anguille encore peu documentée, exemple du bassin de l’Eure. Des efforts seront à fournir sur ces bassins pour combler les lacunes et également accompagner le développement des espèces.
Les cours d’eau normands bénéficient d’une forte capacité de résilience. Leur restauration par l’effacement d’ouvrages ou la restauration d’habitats fonctionnels se traduisent souvent par des réponses positives de la part des poissons migrateurs dans l’année qui suit la fin des travaux. Ces effets sur la biodiversité piscicole tendent à conforter les gestionnaires et partenaires dans le bienfondé des actions réalisées et à mener en Normandie.
Pour en savoir plus, téléchargez la fiche complète de notre collection l’état des lieux des connaissances naturalistes régionales consacrée aux poissons migrateurs