La fragmentation des espaces naturels et semi-naturels est l’une des cinq principales causes d’érosion de la biodiversité. Elle peut avoir des conséquences directes ou indirectes nombreuses comme l’extinction des espèces, la diminution des habitats naturels et la disparition du patrimoine paysager.
En diminuant la taille des surfaces accessibles, la fragmentation augmente les risques d’isolement et le cloisonnement des espaces naturels et par conséquent celui des espèces qui peuvent être à l’origine d’un isolement génétique des populations pouvant favoriser la consanguinité et l’apparition de maladies. De plus, les éléments fragmentants comme les routes engendrent une mortalité directe des espèces par collision à cause de la circulation. Ainsi, la réduction de la fragmentation des milieux est un enjeu majeur de préservation de la biodiversité.
Chiffres clés
surface effective de maille non fragmentée en Normandie en 2023
La taille effective de maille a diminué de 5,3 % entre 2012 et 2023 en Normandie, ce qui traduit une augmentation de la fragmentation du territoire !
Les éléments fragmentants de Normandie
Principalement d’origine anthropique, les éléments provoquant de la fragmentation sont de plusieurs natures :
- les territoires artificialisés tels que les grandes villes normandes comme Caen, Rouen, Le Havre, Alençon, Evreux,
Cherbourg, Saint-Lô, etc. ; - les territoires agricoles, principalement les terres arables ;
- le réseau routier ;
- les voies ferrées en service et au sol, comme les lignes Le Havre-Paris Saint-Lazare, Cherbourg-Caen-Paris,
Evreux-Caen, Caen-Rennes, Argentan-Granville, etc. ; - les parcs éoliens
L’ensemble du territoire est tapissé par ces différents éléments fragmentants. Les espaces naturels et semi-naturels de Normandie sont donc impactés par ces infrastructures et par l’urbanisation. En parallèle de la densification des réseaux et des infrastructures routières, le trafic a beaucoup augmenté au cours des dernières décennies.
Les zones agricoles telles que les terres arables avec peu ou pas d’éléments semi-naturels ou d’éléments fixes du paysage (arbres isolés, surfaces en herbe, haies, bords de chemin…) peuvent également être une source de fragmentation. En effet, sans ces éléments, les espèces vont avoir plus de difficultés à effectuer tout ou partie de leur cycle de vie faute d’un environnement favorable. De plus, elles vont avoir une capacité de dispersion plus faible au sein des terres arables (risque de prédation accentué, pas de corridor de déplacement (trame verte), etc.).
Enfin, certaines espèces ou groupes d’espèces sont plus sensibles que d’autres à la fragmentation. Les plus sensibles sont, entre autres, celles à faible capacité de dispersion ou très inféodées à un milieu particulier. On notera que les éléments fragmentants le sont pour une proportion plus ou moins grande d’individus, d’espèces et de groupes d’espèces. Autrement dit, un élément fragmentant n’empêchera pas complètement les individus, espèces et groupes d’espèces de le traverser, mais rendra leur passage plus ou moins difficile selon les individus, les espèces et les groupes d’espèces considérés (par exemple une route sera beaucoup moins fragmentante pour un oiseau que pour un mammifère terrestre)
Des milieux artificialisés à l’origine de niveaux de perturbation écologique variables
Les infrastructures de transport, les éoliennes et les villes, en tant qu’éléments de fragmentation, provoquent une perte nette des espaces naturels en raison de leur emprise réelle au sol. Au-delà de cet impact, ces éléments fragmentants induisent également des perturbations de par leur localisation à proximité des espaces naturels. Ces nuisances sont principalement le bruit, la fréquentation humaine, les polluants gazeux et particulaires ainsi que la pollution lumineuse.
La carte ci-dessus présente une estimation des niveaux de nuisances engendrés par les éléments fragmentants selon leur degré de perturbation. On a ainsi une idée des territoires normands (toutes occupation des sols confondues) qui sont exposés ou non à des sources de perturbation liées aux milieux artificialisés (bruit, polluants chimiques, pollution lumineuse).
On observe ainsi que les espaces naturels subissent une nuisance élevée à proximité des grandes agglomérations et le long du littoral et des grandes vallées fluviales. Les axes majeurs de communication impactent également de façon importante les espaces naturels notamment, pour les autoroutes, en raison de leur large rayon d’émissions. En Normandie, les espaces les moins impactés sont les pays de l’ouest de l’Eure ainsi que l’Orne, le centre Manche, le pays d’Auge et le pays de Lyons (Vexin normand).
Niveau de perturbation des écosystèmes par les milieux artificialisés par département normand en 2023
En Normandie, c’est en moyenne seulement 23 % de la surface régionale (soit 6 900 km²) qui est peu perturbée par les milieux artificialisés étudiés ici (territoires artificialisés, parcs éoliens et infrastructures de transport).
Rapporté à sa surface totale, le département ayant le plus de surface peu perturbée par les milieux artificialisés est l’Orne (39 % soit 2 400 km²), suivie par la Manche (25 % soit 1 500 km²) et le Calvados (23 % soit 1 300 km²), puis par l’Eure (16 % soit 1 000 km²) et la Seine-Maritime (12 % soit 700 km²).
Évaluation de la fragmentation des espaces naturels et semi-naturels
La taille effective de maille, ou maillage effectif, est un indice permettant d’évaluer la fragmentation des milieux.
La taille effective de maille en Normandie est de 16,6 km² en 2023.
Les espaces naturels les moins fragmentés se situent majoritairement dans l’Orne et dans l’est du Calvados. On en retrouve également dans le nord de la Manche, notamment au niveau des marais du Cotentin et du Bessin. Il y a également des espaces naturels peu fragmentés en Seine-Maritime au niveau de la forêt de Lyons et des vallées de la Seine et de la Risle. Cependant, bien que les vallées soient connues pour abriter une riche biodiversité, il existe une forte concurrence pour l’usage de celles-ci avec les activités humaines fragmentantes. Ainsi dans la vallée de l’Eure, les espaces naturels sont très morcelés. Des discontinuités spatiales sont également observables comme par exemple dans les forêts du sud de la vallée de Seine.
De par le faible pourcentage d’espaces naturels et d’éléments semi-naturels au sein des plateaux de grandes cultures, la plaine de Caen, le Pays de Caux, le Vexin Normand et le Plateau de l’Eure apparaissent comme des territoires particulièrement fragmentés.
Important : Le fait que le Calvados ait une taille effective de maille supérieure à celle des autres départements normands ne signifie pas forcément que le Calvados a plus d’espaces naturels que les autres (ce qui est en l’occurrence faux car l’Orne et la Manche en ont plus en valeur absolue), mais simplement que les patchs (mailles) non interrompus d’espaces naturels et semi-naturels y sont plus vastes que dans les autres départements, notamment grâce aux espaces naturels et semi-naturels de l’est du Calvados (pays d’Auge).
Évolution de la fragmentation des espaces naturels et semi-naturels
La fragmentation des espaces naturels et semi-naturels n’est pas figée dans le temps. Elle est fonction des différentes politiques d’aménagement réalisées sur l’ensemble du territoire.
En Normandie, la taille effective de maille est passée de 17,5 km² en 2012 à 16,6 km² en 2023, soit une perte de 90 ha par maille en onze ans, c’est-à-dire une perte d’environ 8 ha par maille et par an. Cela représente également une diminution de 5,3 % en moyenne sur onze ans (taux d’évolution). Ceci s’explique notamment par le fait que pendant ces onze ans, le territoire normand a connu une perte de 150 km² (soit 1 %) de ses espaces naturels et semi-naturels non fragmentés tels que définis dans cette étude, ainsi qu’une fragmentation des dits espaces.
Évolution de la taille effective de maille d’espaces naturels et semi-naturels en Normandie de 2012 à 2013 :
Cette diminution des espaces naturels et semi-naturels non fragmentés peut s’expliquer en partie par :
- l’augmentation de la tache urbaine (+ 222 km², soit un taux d’évolution de +13,6 %) ;
- l’augmentation des parcs éoliens (+ 100 km², soit un taux d’évolution de + 102,1 %);
- l’augmentation du linéaire routier considéré dans cette étude (+ 333 km, soit un taux d’évolution de +2,2 %).
À l’inverse de la tendance normande, la Manche a gagné en moyenne 90 ha par maille d’espaces naturels et semi-naturels entre 2012 et 2023.
Ce qu’il faut retenir
Avec une surface effective de maille non fragmentée égale à 16,6 km² en 2023, la Normandie est une région avec de nombreux éléments fragmentants. Ce chiffre est le témoin de la faible continuité entre les espaces naturels normands.
Les territoires les plus touchés se situent dans le Pays de Caux, sur la plaine de Caen, sur le Plateau de l’Eure et dans le Vexin Normand. À l’inverse, les espaces naturels et semi-naturels les moins fragmentés se situent majoritairement dans l’Orne, la Manche et dans l’est du Calvados. Bien que les éléments fragmentants induisent des perturbations écologiques importantes, ils continuent de s’étendre. Ainsi la fragmentation des espaces naturels et semi-naturels a augmenté de 5,3 % entre 2012 et 2023.
Pour en savoir plus, téléchargez la fiche complète de notre collection l’état des lieux des connaissances naturalistes régionales « Fragmentation des espaces naturels et semi-naturels de Normandie »